igf*fmi Journal printemps 2014, Vol 25, N - page 19

PRINTEMPS 2014
JOURNAL IGF
*
FMI
19
Une amie à moi qui travaille pour le
gouvernement fédéral me demande
souvent de l’aider à rédiger des rapports.
Et pourquoi pas? Je suis, après tout,
organisateur professionnel de mots et
expert des règles grammaticales en anglais
les plus obscures. (Par exemple : Les « si »
n’aiment pas les « rais », à moins qu’ils ne
se découvrent d’un fil en avril.)
Nos discussions sont parfois animées.
J’aime les phrases courtes et claires.
Simplicité équivaut à beauté. Mon amie
a tendance à préférer les longues phrases.
Elle aime aussi parsemer ses textes
d’acronymes et de jargon. Évidemment,
ce n’est pas vraiment de sa faute.
On écrit comme on lit. Après tant
d’années passées à la fonction publique,
la « tonalité » des affreux documents
gouvernementaux est gravée dans sa
mémoire. Pas étonnant que de tels
charabias coulent à flot lorsqu’elle rédige.
Ce qui m’a le plus frappé il y plusieurs
années lorsque je travaillais à la fonction
publique fédérale, c’est la redondance qui
s’infiltrait dans les documents. Le même
mot se répétait de nombreuses fois dans
une même phrase. Les phrases reprenaient
le même contenu que dans les paragraphes
précédents. Tellement de redondance.
Tellement. De. Redondance.
Lorsque mes supérieurs ont découvert
ma capacité de placer des noms et des
verbes dans un ordre semi-cohérent, ils
m’ont demandé de réviser un manuel de
procédures de bureau. Que des heures
de plaisir! Chaque phrase monstre de
50 mots exigeait un élagage exhaustif.
Chaque page constituait un fouillis gonflé
qui pouvait être résumé en un paragraphe.
Pour illustrer mon propos, jouons à
« Trouvez les mots pareils dans les textes
de la fonction publique » (TMPTFP).
De la Défense nationale : « Même si le
système de justice militaire et le système
de règlement des griefs pourraient tirer
avantage de certaines améliorations, on
peut dire que, dans l’ensemble, ce système
fonctionne bien. » [traduction libre]
De quel système s’agit-il exactement?
Du premier? Du second? Des deux?
Nous avons besoin d’un système pour
systématiquement systématiser tous ces
systèmes.
En toute franchise, cette phrase n’est
pas si mal. J’ai consulté d’autres sites
Web gouvernementaux et j’ai trouvé
de véritables monstruosités, comme
cette phrase palpitante du Secrétariat du
Conseil du Trésor du Canada :
« La stratégie de modernisation de la TI
exige la normalisation et le regroupement
des systèmes administratifs de TI dans
l’ensemble du gouvernement du Canada,
comme principal moyen de libérer des
ressources ministérielles de TI de façon à
pouvoir les réaffecter au renouvellement
de systèmes ministériels indispensables
vieillissants, conformément aux plans
ministériels. »
Ouah! Par où commencer? Elle est trop
longue (51 mots). Le mot « ministériel »
se répète trois fois. Elle contient un
acronyme (TI, également répété trois fois).
Elle renferme des expressions ridicules
au goût du jour comme modernisation
et normalisation. Elle comprend le
syntagme hilarant « systèmes ministériels
indispensables vieillissants. »
Voyez
maintenant
cette
perle,
gracieuseté d’Environnement Canada :
« Puisqu’on a déterminé que l’efficacité
énergétique était une priorité clé, la Table
sur le développement durable du secteur de
l’énergie (TDDSE) a établi le Groupe de
travail sur l’efficacité énergétique (GTEE)
pour fournir des recommandations et
des conseils éclairés sur la façon dont les
gouvernements, travaillant conjointement
avec d’autres intervenants clés, pouvaient
transformer le marché pour que le Canada
devienne un chef de file en matière
d’efficacité énergétique. » [traduction libre]
Il faudrait peut-être que d’autres « inter-
venants clés » forment un autre « groupe
de travail » pour cerner « l’efficacité » ver-
bale comme « priorité clé ». Ou certains
intervenants non pertinents pourraient
tout au moins organiser un groupe d’inac-
tivité pour déterminer les priorités sans
importance.
Vient ensuite les phrases dépourvues
d’acronymes et de mots en triple, mais qui
sont tellement vagues qu’elles vous laissent
perplexes, comme celle-ci d’Industrie
Canada :
« Il se peut que l’entreprise envisage
d’impliquer les parties prenantes afin de
mieux comprendre ses impacts, d’aider à
la précision de ses valeurs, de sa mission,
de sa stratégie et de ses engagements ainsi
que de leur mise en œuvre, de faciliter un
processus d’approbation réglementaire, de
participer à l’évaluation et à la production
de rapports, d’empêcher ou de régler une
crise, ou d’améliorer proactivement les
relations. »
Vous êtes-vous déjà demandé comment
ne rien dire en 67 mots? Voir ci-dessus.
La rédaction au gouvernement s’est
grandement améliorée, me dit-on. Les
cadres exigent que les rapports soient écrits
en langage clair et simple. Dommage que
ce langage soit le javanais.
J’offre deux suggestions pratiques
pour aider les bureaucrates à présenter
l’information pour qu’elle soit plus facile
à comprendre et à retenir. Faites un test
de lisibilité pour toutes vos rédactions. Ce
test est probablement compris dans votre
logiciel de traitement de textes. Sinon,
utilisez un test gratuit sur le Web. Il vous
fournira diverses mesures de lisibilité,
votre objectif étant d’ajuster ces chiffres à
la baisse.
Le nombre moyen de mots par
phrase dans cet article (sans la foutaise
Reproduit avec l’autorisation expresse
du : Ottawa Citizen, une filiale de
Postmedia Network Inc.
Où le charabia coule à flot
Roger Collier
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