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JOURNAL IGF
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FMI
VOLUME 25, N° 2
DES DÉFIS DE TAILLE POUR LES LEADERS CANADIENS
il était convaincu que la « fonction
publique était l’une des poursuites les plus
honorables ».
Dans son allocution au cours d’un
souper de la Fonction publique à Ottawa
au mois d’octobre 1937, lord Tweedsmuir
a décrit les éléments fondamentaux d’une
fonction publique efficace. Quelques-
uns sont bien connus : qu’elle mobilise le
talent de toutes les parties de la société;
qu’elle soit libre de toute partialité
politique; qu’il y ait sécurité d’emploi;
qu’elle soit anonyme, ne tente pas de faire
connaître son travail, mais exécute des
politiques établies par les représentants du
peuple; qu’elle soit perçue comme « une
des poursuites les plus honorables », de
manière à attirer « la crème de la crème ».
Il s’est adressé à de jeunes gens qui
réfléchissaient à leur carrière pendant
leurs études universitaires et les incitait à
envisager la fonction publique. Il décrivait
l’importance pour une démocratie d’avoir
une fonction publique neutre et experte
« fonctionnant en autonomie des hauts
et des bas des disputes entre partis ».
Mais être député était aussi une forme de
fonctionnariat public. Même à l’époque,
cette vocation « [avait] un véritable
prestige ». Il peut y avoir toutefois
des « éléments plus élémentaires »
tels que l’ambition personnelle dans
toute motivation favorisant l’entrée en
politique. Mais lorsque les personnes aux
idéaux élevés viennent à voir la politique
comme « quelque chose d’impropre »,
tout la fonction publique en souffre et non
pas que les parlementaires.
Dans certaines démocraties, a-t-il dit à
un auditoire à la University of Manitoba,
avec la « combinaison de politique
discréditée et d’entreprises anoblies, il
est impossible de recruter le meilleur
talent au service du pays. » La leçon était
que « si nous négligeons l’État en faveur
des intérêts privés, il est pratiquement
inévitable que cette négligence, un jour,
aura une incidence des plus graves sur ces
intérêts privés. »
La préoccupation qu’avait M. Buchan
pour une bonne administration, une
bonne gouvernance et les principes
fondateurs de la civilisation occidentale,
à savoir la liberté, la primauté du droit
et un gouvernement représentatif, était
indéniable. À mesure qu’avançaient les
années 1930, ces principes fondamentaux
étaient de plus en plus menacés par des
idéologies dictatoriales.
En effet, lorsque M. Buchan, en sa
capacité de lord Tweedsmuir, est arrivé
au Canada le 2 novembre 1935, la
liberté et des formes représentatives de
gouvernement avaient disparu d’une
grande partie du continent européen. Il
fallait à tout prix défendre et renforcer
les principes de base et renforcer les
institutions du gouvernement, pour que
celui-ci puisse fonctionner efficacement
et être mieux préparé à composer avec
les graves questions auxquelles il était
confronté.
Les rouages du gouvernement
Un mois à peine après son arrivée au
Canada de Grande-Bretagne, lord
Tweedsmuir a reconnu que l’horaire du
premier ministre Mackenzie King et
que sa charge de travail soulevaient des
préoccupations relativement à sa santé et
à l’administration efficace de son bureau
et du gouvernement en général. Lord
Tweedsmuir a offert d’aider et souhaitait
créer des occasions de discuter de
questions « touchant la paix au pays ». Il
faisait bien sûr allusion à la situation qui se
dégradait à l’échelle internationale.
Lord Tweedsmuir a décrit pour
Mackenzie King la pratique britannique,
qui, selon lui, pourrait être utile pour fins
de comparaison et a ensuite fourni des
« suggestions pour un poste de chef du
Cabinet ». Le titulaire du poste proposé
assumerait la responsabilité principale du
cabinet du premier ministre et disposerait
d’adjoints qui organiseraient l’horaire
du premier ministre, prendraient tous
les rendez-vous et s’occuperaient de la
correspondance, dont les éléments les plus
importants seraient rédigés par le chef du
cabinet. Fait significatif, lord Tweedsmuir
a insisté pour dire que le chef du Cabinet
« ne devrait jamais accompagner le
premier ministre dans ses tournées ou à
des rencontres politiques, responsabilité
qui devrait être confiée à un secrétaire
politique choisi parmi les membres de
la Chambre. » Le chef du Cabinet serait
aussi l’agent de renseignement du premier
ministre, indiquerait à ce dernier ce
qu’il doit lire, dépouillerait la presse et
préparerait les notes sur les « questions
spéciales » desquelles il devrait être avisé.
Enfin, la personne occupant ce poste
serait l’agent de liaison principal auprès de
tous les ministères, y compris les Affaires
extérieures (qui était la responsabilité du
premier ministre à l’époque).
Lord Tweedsmuir a ensuite consulté
Burgon Bickersteth de la University of
Toronto. Ce dernier avait rédigé une
étude, à la demande de Mackenzie King
à la fin des années 1920, sur le Bureau
de Cabinet britannique. Monsieur King
n’a aucunement donné suite à l’étude et
a conservé ses deux commis de bureau.
Monsieur Bickersteth était cynique. Il
avait écrit que les personnalités publiques
ne s’entourent jamais d’« adjoints très
compétents », comme s’ils se « méfiaient
des traits d’intelligence en cette capacité ».
Les fonctions distinctes prescrites par
lord Tweedsmuir évolueraient par la suite
pour former deux bureaux. Les deux
premières fonctions sont devenues le
Cabinet du premier ministre, la troisième
s’apparente à ce qu’on connaît aujourd’hui
comme étant le greffier du Conseil privé
et secrétaire au Cabinet. Mackenzie King,
suscitant une fois de plus la frustration,
n’a rien changé pendant plus de deux
ans, jusqu’à ce que sa santé devienne une
question critique. Finalement, au mois de
juillet 1938, M. King a offert le poste de
secrétaire principal au premier ministre à
Arnold Heeney, un avocat de Montréal.
Les deux hommes s’étaient rencontrés
cinq années auparavant. À l’époque,
M. Heeney accompagnait son père,
ministre anglican bien connu (un point
important pour M. King), que connaissait
M. King et qui était venu rendre visite
au premier ministre à tous les étés à
Kingsmere. Dans tout cela, le rôle de lord
Tweedsmuir a aidé à façonner une partie
importante des rouages contemporains
du gouvernement du Canada et l’a aidé à
gérer les complexités de l’administration
d’une société industrielle moderne.
Unité nationale
Lord Tweedsmuir s’inquiétait du manque
de loyauté au Canada en soi. C’était
le régionalisme bien ancré et ses effets
négatifs sur l’unité nationale qui l’ont